L’expatrié qui avait « la trouille », un résistant pas comme les autres par Pierre Fréha

L’expatrié qui avait « la trouille », un résistant pas comme les autres par Pierre Fréha

13 janvier 2023 0 Par Solène W.

C’est bien connu : la tyrannie est un thème qui fascine et angoisse. Comme nous la percevons en France, la dictature est précise à définir, mais néanmoins difficile à déceler. En 2021, la série « Le Parcours des tyrans » a fait son entrée sur la plateforme de streaming Netflix. L’acteur Peter Dinklage, surtout réputé pour son rôle de Tyrion Lannister dans le show « Game of Thrones », en est la voix off. De ce documentaire historique satirique, certaines phrases percutent et restent en tête : « L’humain aime être dirigé et asservi », « il n’y a pas de meilleure opportunité qu’une crise », ou encore « ce n’est pas suffisant d’être simplement un leader, il est nécessaire d’entretenir une iconographie. » Sur bien des plans, la politique du président Erdogan peut être perçue telle une dictature. Même le magasine le Point a titré un de ses numéros avec la couverture choc « Le Dictateur, jusqu’où ira Erdogan ? » Dans cet Etat autoritaire, la liberté d’expression diminue comme peau de chagrin. C’est ce que cherche à exposer l’auteur Pierre Fréha dans son livre de 268 pages intitulé « Bella Ciao Istanbul ».

Paru aux Most Editions, l’ouvrage rythmé suit le parcours d’un français révolté vivant à Istanbul. Danilo Brankovic s’est emporté. À l’aéroport, il a proféré des propos gênants, qui lui valent le passage de deux policiers chez lui, dans le quartier conservateur de Fatih. Rapidement, une forme de paranoïa s’empare de lui. Dans la lignée de « Midnight Express », le fameux film d’Alan Parker de 1979, lui aussi se sent en danger.

Puisqu’il a été dénoncé, ce personnage très sanguin n’hésite pas à se plaindre et à s’indigner ouvertement, même s’il doit défier les autorités. Une attitude qui trouble son entourage, essentiellement turc. Parfois, ses interlocuteurs cherchent à exprimer, à expliquer cette présence de « flicage » extrême et liberticide aux yeux d’un Européen, en cause, « (…) Des mouvements d’une extrême violence. Il a bien fallu nous défendre contre ces attaques. Tous les pays le font. Nous faisons la même chose. »

Mais le migrant français est un éternel insatisfait, qui se soulage comme il peut, en déversant cette haine qu’il conserve en lui, sentiment malsain qu’il ne peut profondément et sincèrement partager. Le délit d’opinion est une réalité, puisque de nombreux réactionnaires turcs meurent dans l’indifférence, dont une jeune fille activiste de 28 ans, emportée après une grève de la faim. En souhaitant unifier à tout prix son pays, Erdogan éloigne les risques de divisions et de coups d’Etat. Pour rappel, la Turquie a vécu de multiples tentatives, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La dernière en date nous renvoie seulement en 2016. Face à de telles menaces, n’est-il pas logique de barricader cette porte aux frontières de l’Irak et de la Syrie ? Le Moyen-Orient est sans aucun doute un des territoires les plus dangereux du globe. Et si le revers de la xénophobie était en relation avec l’emplacement de la Turquie ?

Puisque l’entourage du narrateur approuve indirectement les menaces et les surveillances pointées du doigt par le protagoniste, celui-ci s’isole. Il se sent mis à l’écart, incompris, abandonné. L’intrigue débute en 2020, alors que la pandémie liée au Sars-Covid-19 se répand sur la surface du globe. Victime de discriminations, Brankovic est relié au rang d’étranger.

Mais cette histoire d’amour avec la Turquie est rompue : lui-même la considère comme une romance qui a tourné au vinaigre…

En réalité, le seul personnage qui semble comprendre « profondément » cet homme vulgaire et brut de décoffrage est Despina, une amie et ses sœurs Pétra et Eléa. Une famille d’origine grecque, satisfaite de sa vie en Turquie. Mais selon le narrateur, il est impensable, voire impossible de se sentir « heureux » sans être manipulé au sein de cette nation : « La République turque s’était formée sur le dos des minorités écrasées », mais n’est-ce pas là le lot sordide des civilisations du monde entier ? L’immense majorité des empires a accédé au pouvoir par la force et le sang : c’est aussi le cas des Grecs, qui ont fondé de nombreuses colonies en dehors du pays. Les crimes de guerre et la misère n’ont pas de frontière ni d’époque.

Avec un « héros » qui reconnaît rarement ses erreurs ou son manque de connaissances, celui-ci admet qu’il ne sait pas « grand-chose de l’Histoire des Grecs à Istanbul, et plus généralement en Anatolie. » Cela donne également envie au lecteur d’en apprendre plus sur tous les peuples et civilisations du monde entier, plus précisément sur l’Histoire complexe de la Turquie. Dans ce texte qui soulève de nombreux tabous, le lecteur ressent un étrange mélange entre curiosité et sensation d’oppression. En résulte une expérience, une découverte atypique qui mériterait plus de nuance pour appuyer un propos humaniste. Une position aussi marquée dénote cependant d’un désir de se forger sa propre opinion sur une question à ce point délicat, digne du conflit israélo-palestinien…

Le site du livre : http://istanbul-bellaciao.fr/