Avec son premier roman, Les Passagers, Julia Brandon s’essaie au genre fantastique
7 avril 2023Camus, Flaubert, Rousseau… Les lectures de Julia Brandon n’ont rien à voir avec la littérature fantastique. Pourtant, avec Les Passagers, la jeune auteure de 27 ans livre un premier roman qui emprunte les codes du genre et à quelques égards aussi, ceux du conte merveilleux. Le roman, paru le 4 août 2022 aux éditions Des auteurs Des livres est toutefois bien loin de la littérature jeunesse. Preuve que le fantastique est aussi pour les adultes.
Une prophétie, des élus avec des dons, des confiseries magiques, le tout dans un univers onirique qui ne ressemble en rien à notre réalité… Julia Brandon s’empare bien des codes du genre fantastique. Et elle a choisi de le faire en plusieurs tomes, ce qui est relativement rare lorsqu’il s’agit d’un premier roman. Faire une saga requiert en effet une certaine maîtrise du genre, ainsi qu’une discipline et une organisation sans faille.
Des défis que la jeune auteure a choisi de relever en s’attaquant, qui plus est, à un thème difficile, mais travaillé sous toutes les coutures autant par la littérature que par le cinéma. Le nommé : l’indémodable et le fantasme inassouvi voyage dans le temps. Néanmoins, la jeune femme semble jongler aisément avec le temps et même y prendre du plaisir, bien qu’elle nous confie avoir dû réaliser de « nombreuses frises chronologiques pour y arriver ».
Quant au monde fantastique créé par Julia Brandon, il ne manque pas d’originalité. Si l’on pense de prime abord à un monde post-effondrement avec un retour à la nature, notamment car les enfants ont des cours d’agriculture, il n’en est rien. Son univers n’existe pas. Il se passe loin de toutes civilisations actuelles connues. « Les autoroutes, les villes goudronnées n’existent pas. Je n’utilise pas non plus les termes de policiers ou d’hôpital par exemple. Je voulais que l’on s’évade complètement dans une autre réalité », nous explique Julia Brandon.
Son univers est aussi original à travers le lexique utilisé qui emprunte à l’enfance des éléments réconfortants. La ville entière de Pallia, imaginée par l’auteure, est organisée autour d’une fabrique de sucreries, réglisses et autres douceurs. Une appétence personnelle de Julia Brandon, qui possède un CAP pâtisserie et confiserie. Ce qui explique la maîtrise du sujet. D’ailleurs, ce sont également des confiseries qui confèrent d’étonnants pouvoirs aux élus. Elles leur permettent notamment de voyager dans le temps et de revivre des souvenirs. Pour le meilleur et pour le pire.
Un conte fantastique pour adultes
Pourtant, le lexique enfantin et l’univers fantastique, qui mélange les esthétiques littéraires puisque l’on est à la limite du conte merveilleux et féerique, dénotent radicalement avec la tournure très sombre des événements et thèmes abordés dans le roman. Il ne faut pas oublier que l’intrigue principale parle de la mort de Nejma, 5 ans, décédée d’une prétendue noyade et d’un père, Gustave, dévasté par la mort de sa fille.
La seconde intrigue se noue quant à elle autour du personnage de Félix, un ado mal dans sa peau qui ne trouve pas sa place, y compris dans sa propre famille. Bien évidemment, Gustave et Félix vont voir leurs histoires personnelles se rejoindre dans un développement que l’on salue assez fluide et dont on se délecte. Leur histoire commune est en effet très attachante.
A travers elle, Julia Brandon, qui nous confesse s’identifier au personnage de Félix, en profite pour encourager l’acceptation de la différence en parlant de la solitude et de la souffrance qu’elle peut engendrer. Elle le fait toutefois prudemment puisque les deux « élus » doivent vivre leur magie de façon secrète. Presque comme s’il était difficile de s’épancher sur des attributs que les autres qualifieraient de marginaux. Cela étant dit, le secret garantit aussi l’intrigue du roman.
Les thèmes abordés par l’auteure – la mort, le rejet, la solitude, l’adultère – nous transportent donc bien loin de la littérature jeunesse fantastique, preuve que la cible de Julia Brandon est plutôt adulte. Cette dernière nous explique son choix pour ce genre : « Je ne pouvais écrire mon histoire autrement qu’à travers le fantastique. Elle est irréalisable autrement, elle serait trop dure ! J’ai donc décidé de créer un tel univers pour enrober des sujets très difficiles. Je pense que le fantastique offre beaucoup de liberté de sujets ». Des thèmes insoutenables dans un joli enrobage en sucre.
Parce que le fantastique est aussi une manière d’abroger les limites du réel. Il ôte les barrières que l’on pourrait avoir en écrivant un récit très réaliste, sous couvert bien sûr de le faire avec subtilité et cohérence. Les Passagers est plus que jamais un exutoire pour l’auteure. Et il est loin de laisser indemne. Avis aux lecteurs avertis.
Par Anaïs Delatour.