Marie-Emmanuelle Kervénoël se libère de ses tourments dans un livre poignant

Marie-Emmanuelle Kervénoël se libère de ses tourments dans un livre poignant

14 octobre 2024 0 Par Solène W.

Du désespoir au salut, alors qu’elle traversait une période extrêmement sombre de sa vie, Marie-Emmanuelle Kervénoël confie ses échanges éloquents avec SOS Amitié dans Correspondance. Ouvrage épistolaire bouleversant, il rend espoir dans le genre humain en prouvant que le mal-être, aussi profond soit-il, peut toujours se résorber grâce à l’écoute sincère de personnes bienveillantes. Rencontre avec l’auteure.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel, littéraire et ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?

Mon parcours professionnel est un peu atypique. J’ai passé un bac de Lettres et philosophie, puis je souhaitais m’orienter vers une prépa hypokhâgne et khâgne mais ma mère – qui était malheureusement folle –, m’en a empêchée pour me forcer à obtenir une licence d’anglais littéraire. Trouver du travail m’était alors compliqué. J’ai été contrainte de suivre une année d’étude supplémentaire pour obtenir un diplôme de traductrice-interprète technique et commerciale.

J’ai commencé à écrire à l’âge de 14 ans, en 1974, car contrairement aux adolescentes de mon âge je me passionnais pour les livres de psychologie et de pédagogie. J’en réalisais des commentaires dont je discutais ensuite avec ma mère. Personne n’était littéraire dans ma famille d’adoption, par conséquent je n’ai jamais été encouragée à persévérer dans cette voie.

Au départ, je ne savais pas que j’allais publier les textes de Correspondance. J’ai fait ma première dépression en 1992, un an après mon mariage. En 2010 et en 2017, j’avais déjà commencé à écrire ponctuellement à SOS Amitié. En 2018, suite à une tentative de suicide qui m’a plongée dans sept jours de coma, je me suis décidée à les solliciter à nouveau car je ne savais plus vraiment vers qui me tourner. J’ai correspondu quatre mois avec l’association. En 2020, j’ai décidé de compiler ces échanges sous la forme d’un livre parce que, même si vous êtes entourés de personnes très compatissantes, à l’écoute, celles et ceux qui ne sont pas passés par là ne peuvent comprendre ce que vous vivez. Par conséquent, l’association SOS Amitié – qui est malheureusement très peu connue – sait quoi répondre aux appels téléphoniques et messages qui leur sont envoyés. J’ai pensé que les personnes qui se retrouvaient dans la même situation que moi pourraient peut-être trouver une solution à leur problème avec mon ouvrage. 

Comment vos échanges avec SOS Amitié ont-ils apaisé votre mal-être ?

Au début, j’avais beaucoup de mal à me confier à mon psychiatre parce qu’il était très froid mais au fil du temps j’ai réussi à l’apprivoiser et à me laisser aller. Il m’a suivi pendant plus de vingt ans. Il y a cependant des personnes qui ont du mal à se confier à un professionnel de médecine, qui se livreront plus facilement à des amis ou bien à une association comme SOS Amitié qui ne porte aucun jugement. L’échange est anonyme et puisqu’il se déroule par téléphone ou par écrit, la démarche est peut-être un petit peu moins intimidante comme il ne s’agit pas de face à face.

Mon psychiatre était un peu de l’ancienne école et ce qu’on leur apprenait à l’époque était de ne surtout pas intervenir et de laisser le patient s’exprimer. Quand vous arrivez avec une dépression profonde et que personne ne vous tend une perche pour vous aider c’est très dur. J’ai vécu de nombreux mois durant lesquels dès que je ressortais de la séance j’étais encore plus mal qu’à l’arrivée, souvent jusqu’à la nausée.

SOS Amitié n’a cependant pas vocation à guérir mais peut empêcher, si c’est possible, le passage à l’acte et remonter un peu les individus dont le moral se trouve très bas. Mais ceci dit, cette aide doit quand même être conjuguée avec un traitement psychiatrique, psychothérapeutique ou un autre type d’accompagnement.

Vos messages ont une forme éminemment littéraire, écrire vous a-t-il permis de mettre des mots sur vos maux ?

Oui, l’écriture a été très longtemps pour moi un exutoire. Elle m’empêchait quelque part de sombrer totalement dans la folie. Je vivais une dépression tellement grave que je n’ai pas eu que des traitements psychiatriques. J’ai reçu également des sismothérapies qui sont des électrochocs. Ce sont des interventions très violentes. L’écriture m’a permis de me soulager de tout ce qui me faisait souffrir et me maintenait la tête hors de l’eau.

Avez-vous réalisé un travail de réécriture sur vos messages ou ceux de SOS Amitié pour votre ouvrage ?

Non, dans la première version j’avais laissé le mot de la conclusion à SOS Amitié mais j’ai finalement décidé de conclure moi-même dans celle que j’ai remise à mon éditeur. À part cela, les seules choses que j’ai ajoutées sont les notes explicatives, notamment quant au jargon médical.

Avez-vous contacté SOS Amitié pour les informer que vous comptiez publier vos échanges ?

Non, par contre j’ai proposé à mon éditeur de leur envoyer un exemplaire pour qu’ils constatent comment l’une de leurs protégées s’en est sortie. Comme en octobre et novembre 2024, quatre autres de mes livres seront publiés, mon éditeur m’a proposé qu’on leur offre plutôt le coffret de la collection.

Votre ouvrage se distingue par sa transparence. Avez-vous rencontré des défis particuliers pour maintenir cette honnêteté tout en prenant soin de votre propre bien-être mental pendant la compilation de ces messages ?

Non, je suis désormais complètement sortie de cette phase terrible. Je me suis dit que j’avais vécu quelque chose de très difficile avec le recul et que j’ai eu de la chance de m’en sortir. Je ne vois plus aucun psychiatre et ne suis plus médicamentée.

À quel lectorat se destine Correspondance ?

Je pense qu’on ne peut pas le proposer à des lecteurs trop jeunes. Il est sûrement trop difficile pour les adolescents mais je dirai qu’on peut le lire vers l’âge de 18-19 ans. Les personnes qui souffrent de pathologies similaires peuvent peut-être se retrouver dans mes écrits. J’ai partagé mon livre à quelques personnes dont une qui se trouve dans une dépression plus légère que celle que j’ai traversée. J’avais un peu peur de l’enfoncer davantage dans sa dépression, on ne peut pas prévoir la réaction de chacun. Lorsqu’il l’a fini, il m’a confié que cette lecture lui a procuré de l’espoir. Il s’est dit que si une personne qui – pour utiliser une image – était au fond de la piscine arrivait à s’en sortir, alors lui aussi.

Ce livre peut également se destiner aux étudiants en psychologie ou psychiatrie. Je l’ai fait lire à mon médecin dont j’étais la patiente depuis 1996 et qui est parti à la retraite fin 2021. Il a découvert des choses sur moi qui lui étaient jusqu’à présent inconnues. On ne peut pas tout dire lors des séances. Il m’a également confié que cela lui donnait peut-être un autre regard sur la psychiatrie. Il était étonné que j’arrive à mettre des mots si précis sur mes souffrances, très peu de gens y parviennent. Il savait que j’écrivais très bien puisque j’avais l’habitude de lui remettre mes récits légers de l’époque dans lesquels je contais les escapades que j’entreprenais.

Pourquoi avoir décidé de ce format pour votre ouvrage et non pas l’avoir transformé en roman par exemple ?

Je ne suis pas une romancière, je ne sais qu’écrire sur mon vécu. Je suis incapable d’inventer une belle histoire. Je sais écrire des choses très profondes, très légères également, mais je ne sais pas écrire un roman.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui pourrait se retrouver dans une situation similaire à la vôtre, en termes de recherche d’aide ou de gestion de sa propre souffrance ?

S’il ne sait plus vers qui se tourner, je lui conseillerais de s’orienter vers SOS Amitié. Ensuite, s’il s’agit d’une personne qui n’est pas encore prise en charge d’un point de vue médical, il peut peut-être trouver de l’aide auprès d’un psychothérapeute selon la gravité de son état. Par contre, s’il se trouve dans un état aussi grave que celui que j’ai vécu, c’est plutôt de l’ordre d’un psychiatre parce que malheureusement les médicaments se révèlent parfois nécessaires dans ces cas-là.

Justement, vous semblez douter du traitement psychopharmacologique et de l’accompagnement médical reçu. Considérez-vous qu’il était adapté ?

Par moment, je me disais que les médicaments que mon psychiatre me prescrivait ne me convenaient plus en raison de l’accoutumance qui est terrible. J’avais beau lui expliquer que tel antidépresseur ne m’apaisait pas, il continuait à me le prescrire. Je pense effectivement que le traitement était inadapté.

Vous évoquez beaucoup votre foi dans vos messages à SOS Amitié. A-t-elle influé sur votre confiance en la psychiatrie ?

Je ne sais pas. C’est vrai que ma foi m’a beaucoup aidé même si j’ai vécu des moments très difficiles. Je pense que si je n’avais pas eu la foi, j’aurais peut-être sombré encore plus, alors que je me trouvais déjà au plus bas. La foi demeure toujours très importante dans ma vie mais c’est une affaire tellement intime et personnelle. Je n’ai jamais cherché à convertir qui que ce soit. Je suis issue d’un milieu anticlérical mais je me suis convertie sciemment à l’âge de 33 ans. Lorsque j’étais en dépression j’ai entendu une petite voix qui m’intimait de me faire baptiser. J’ai alors commencé un parcours catéchuménal. Au bout de deux ans on m’a baptisé. Un an après, j’ai demandé à être confirmée dans ma foi et ensuite j’ai régulièrement suivi des retraites spirituelles. Mon mari m’interdisait de me rendre à l’église. En dehors des hagiographies et des livres très spirituels que je lisais, ces retraites m’ont beaucoup apporté à travers les échanges, notamment avec les contemplatifs. J’ai également réalisé un pèlerinage à Lourdes mais en général je me retire dans les monastères.

Votre livre semble ouvrir un dialogue sur la manière dont les troubles mentaux sont perçus dans notre société. Quels changements espérez-vous constater dans le discours public ou professionnel sur ces sujets à la suite de la publication de votre ouvrage ?

Ce que j’espère voir, parce que malheureusement ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui, c’est qu’on arrête de considérer comme fou quelqu’un qui souffre de dépression. C’est terrible qu’au XXIème siècle on considère encore comme folle des personnes qui souffrent, qui consultent un psychiatre ou qui à un moment donné de leur vie se retrouvent en hospitalisation psychiatrique. Ces gens sont généralement sains d’esprit malgré tout. Malheureusement, il y a encore aujourd’hui beaucoup de gens qui s’imaginent que lorsqu’on effectue un séjour en hôpital psychiatrique c’est qu’on est fou. J’aimerais tellement que ces a priori disparaissent. Du temps de Camille Claudel, dès qu’une personne était un peu atypique ou bizarre on la catégorisait comme folle parce qu’on n’avait pas une connaissance de la psychiatrie aussi développée qu’aujourd’hui. Avec l’avancée extraordinaire de la médecine, la découverte de pathologies en psychiatrie, il est déplorable de constater que ces préjugés persistent.

Avez-vous des projets littéraires pour la suite ?

Mon éditeur est en train de mettre en page Volupté et tristesse : à la croisée de deux mondes, mon prochain livre à paraître courant octobre. C’est un mélange de récits légers ou je décris quelques escapades. Ensuite, il y a des chapitres un peu plus profonds où je mets mon âme à nue. Il y a un chapitre consacré à l’une de mes hospitalisations en milieu psychiatrique. J’ai demandé à mon éditeur si je devais le laisser dans mon livre. Il m’a répondu qu’il fallait absolument le conserver car il y a très peu de témoignages d’hospitalisation psychiatrique qui sont publiés. Comme il s’agit d’un monde très fermé, je raconte une expérience personnelle certes mais aussi des situations qui se déroulent autour de moi avec d’autres malades.

Je suis en train de retravailler quelques livres qui vont, si tout se passe bien, être publiés entre octobre et novembre. Je partirai ensuite sur quelque chose de plus léger avec deux tomes sur des visites dans les châteaux de la Loire. Le dernier ouvrage que j’ai écrit s’intitule Fragment de vie et il s’agit presque uniquement d’escapades en France hormis un chapitre en Belgique. Quand je voyage, je prends sans cesse des notes sur mon petit carnet. C’est une grande grâce pour moi d’avoir trouvé un éditeur. Le monde de l’édition est extrêmement cloisonné. Ce qui m’arrive, à l’âge de 63 ans, est extraordinaire. Une nouvelle vie s’ouvre à moi.

Autrice : Marie-Emmanuelle Kervénoël

ISBN : 978-2-492375-45-3

184 pages

Les Editions des Auteurs des Livres

Site de l’autrice : www.marieemmanuelle-kervenoel.fr

Michel-Angelo