Véritable ode à la femme, Kalilou Diakite milite avec ferveur pour un changement des mentalités dans son ouvrage Souffle à la femme. Réhabiliter leur histoire, ne plus chosifier les femmes mais les respecter en tant qu’êtres humains à part entière sont les maîtres-mots de ce court manifeste. Rencontre avec l’auteur.
À l’aune de la libération de la parole post MeToo, il demeure indispensable de redéfinir nos rapports sociaux et représentations culturelles pour aspirer à une société pacifiée, ouverte à l’altérité. Malgré l’essor de la prise de conscience des conditions d’existence de nombreuses femmes dans le monde, les archétypes persistent, indéfectibles, dans l’imaginaire collectif. Avec Souffle à la femme, Kalilou Diakite vient rappeler l’importance millénaire des femmes dans le monde, leur éternel fardeau, ainsi que l’hypocrisie opiniâtre des hommes à leur égard. L’auteur se place également en défenseur de l’intersectionnalité des luttes afin que la culture dominante change son regard sur les différences dans leur ensemble et tende vers une plus grande inclusivité.
Pourriez-vous présenter votre parcours et ce qui vous a amené à l’écriture ?
Actuellement je suis coordinateur éducatif au sein de l’association Zy’Va à Nanterre qui œuvre à l’accompagnement à la scolarité, du CP jusqu’à la terminale. J’ai suivi des études d’Histoire et de Relations internationales. J’avais pour vocation de poursuivre dans la recherche mais faute de financement je me suis retrouvé à enseigner malgré moi dans divers collèges de l’académie de Créteil. J’ai pris conscience que les diplômes n’étaient pas forcément suffisants et c’est à partir de là que j’ai commencé à développer mon rapport à l’écriture.
J’ai tout d’abord débuté par des acrostiches, de la poésie. Ensuite, de fil en aiguille, je me suis inspiré un petit peu de mon parcours et de la relation que j’ai pu entretenir avec les élèves dans les établissements dans lesquels j’ai officié pour rédiger un essai. J’ai par la suite étoffé ma plume à travers d’autres essais, des romans et de la poésie.
Quelle a été l’impulsion qui vous a mené à écrire ce livre ?
J’avais vraiment envie de rendre un hommage aux femmes. C’est un livre court mais qui m’a quand même demandé un certain temps de rédaction. Je voulais vraiment que cet ouvrage soit fort en termes de mots, d’émotion, et qu’il ait un réel impact sur chaque personne qui le lit. Je me suis demandé comment rendre hommage, à travers la plume et à hauteur de mes moyens, aux femmes dans nos sociétés qui ont du mal à leur accorder la place qu’elles méritent.
Je n’ai pas le souvenir qu’il y ait eu d’élément déclencheur en particulier mais j’avais toujours dans un coin de ma tête cette idée qui, je crois, a commencé à germer aux alentours de 2016.
Qu’est-ce que votre titre Souffle à la femme sous-entend ?
Souffle à la femme sous-entend l’espoir. L’idée de souffle consiste à donner un petit peu cette force aux femmes qui malheureusement aux quatre coins du monde voient leur dignité malmenée, remise en question. Tout au long de leur vie, atteindre leurs objectifs relèvera d’un parcours compliqué, très difficile. On ne va pas leur faciliter la tâche. Ce souffle vient les encourager, leur donner un petit coup de main face au parcours qu’elles auront et surtout, vraiment, qu’elles croient en elles, en leur potentiel, et qu’elles se donnent les moyens d’atteindre leurs objectifs.
Comment la société peut-elle améliorer le quotidien des femmes ?
Il faut changer notre vision de la femme. Est-elle simplement cantonnée à un objet sexuel ou est-ce que c’est un être à part entière ? Évidemment, cela tient à l’éducation. Il faut changer nos imaginaires dans lesquels l’homme dominerait la femme. Il faut la respecter dans sa dignité. Je pense également qu’il faut réintroduire l’histoire des femmes pour qu’on ait une meilleure appréciation du poids et du rôle qu’elles ont joué tout au long l’Histoire. Par le biais de ce livre, j’ai eu l’occasion de découvrir énormément de parcours de femmes très inspirants.
Je ne comprends pas pourquoi on ne parle que très peu de femmes qui ont, à la hauteur de leur moyen, contribué à l’évolution des sociétés. Je trouve cela dommage que dans les livres d’Histoire, dans le parcours scolaire voire universitaire, la place des femmes soit galvaudée ou quasi inexistante. C’est vraiment par le biais de lectures personnelles que l’on peut se rendre compte des rôles qu’elles ont joués. Je pense que l’éducation est vraiment le champ prioritaire qui permet justement de déconstruire nos imaginaires, mieux s’approprier l’histoire des femmes, mieux insister sur le rôle qu’elles jouent au quotidien dans les sociétés. Je pense que cela pourra rééquilibrer cette relation déséquilibrée, toujours en faveur des hommes.
Selon vous, pourquoi n’a-t-on encore nulle part atteint l’égalité homme-femme ?
Parce que c’est un choix ! C’est comme pour tous les maux qui affectent nos sociétés, on fait des choix. Malheureusement, ceux qui nous dirigent ne mettent pas en priorité la dignité humaine. Que chaque individu, quelle que soit sa couleur de peau, son genre, etc., soit véritablement respecté en tant qu’être humain. Je pense que politiquement ce n’est pas une priorité. Je crois que si on voulait vraiment le faire on pourrait y arriver, comme je le disais, par le biais de l’éducation, de la sensibilisation, par des actions concrètes dans lesquelles on fait comprendre que les femmes ont toute leur place dans notre société et qu’elles y contribuent de manière non négligeable.
Il y a toujours cette volonté de maintenir ce modèle patriarcal et cette domination. On assiste à l’avènement du masculinisme depuis ces dernières années qui énonce que l’homme doit retrouver sa place… L’une des erreurs d’interprétation est de penser que dans le féminisme il y a une volonté de la part des femmes de renverser les hommes, qu’elles souhaitent prendre leur place ou devenir supérieures, alors que ce n’est pas du tout cela. Le féminisme, c’est vraiment cette idée que la femme doit être respectée dans sa dignité en tant qu’être humain. Elles ne doivent pas voir leur potentialité gâchée au nom de traditions et d’us et coutumes.
Il faudrait que chaque société se remette en question dans le rapport qu’elle entretient avec les femmes. Chaque État doit faire son propre mea-culpa sur le regard qu’il porte sur les femmes.
Quel est votre avis sur les mouvements féministes actuels ?
Je suis un peu dubitatif dans le sens où on a segmenté un petit peu les combats du racisme et du féminisme par exemple. On se rend compte que l’objectif est pourtant le même, c’est-à-dire que chaque individu, racisé ou non, soit respecté dans sa dignité. Il y a un émiettement d’un combat qui est le même, chacun semble défendre son propre pré carré. Je trouve cela assez dommage, il faudrait fédérer ces mouvements pour engager une convergence des luttes.
Les mouvements féministes se développent de plus en plus. J’ai l’impression que cela crée plus de tensions qu’autre chose. On a l’impression qu’il y a vraiment cette volonté de défendre la cause de la femme alors que la problématique englobe plutôt la question de la dignité humaine. Ce n’est pas seulement propre aux femmes, les personnes en situation de handicap ou les personnes racisées sont également concernées. C’est cette idée de comment la différence pourrait être de mieux en mieux acceptée au sein de la société. Je pense qu’il faudrait fédérer tous ces mouvements pour qu’ils soient encore plus efficaces dans leur engagement.
Certaines sociétés sont de natures matriarcales, d’autres patriarcales. Devrait-on tendre vers une société qui n’est ni l’une ni l’autre mais régie par l’égalité totale ?
Oui, je pense qu’on doit développer notre société de manière à ce que les femmes aient leur mot à dire autant que les hommes sans que les uns prennent le dessus sur l’autre. Souvent, dans de nombreuses sociétés dans lesquelles la culture est très prenante ou dont le poids des traditions est omniprésent, culturellement, la femme est considérée comme moins à même de mener les affaires de la société que l’homme, notamment.
Il faut vraiment déconstruire tous ces paradigmes. Cela prendra du temps puisque ce sont des traditions et us et coutumes qui sont ancrés depuis des millénaires. On ne peut pas les changer du jour au lendemain en claquant des doigts mais il y a tout un travail d’éducation à effectuer. Ce n’est pas normal que des femmes, à l’échelle de la planète, ne puissent pas avoir accès à l’éducation ou simplement les cantonner à un rôle de mère. Je trouve cela dommage de briser des parcours de vie au nom d’us et coutumes que l’on considère comme sacrés et dont toute remise en question revêt un caractère de sacrilège.
Je suis cependant plutôt optimiste même si tous les combats sont longs. Est-ce qu’on va y arriver d’ici une décennie ? Je ne sais pas. Tous les combats sont longs à mener et c’est l’espoir qui les maintient en vie parce que si on abandonne le combat s’arrêtera. On peut y arriver même si on commence à l’échelle d’une famille, d’un quartier ou d’une ville. Il faut poser les jalons en espérant propager la démarche aux quatre coins de la planète.
Vous évoquez l’objetisation des femmes, notamment dans la publicité. Comment y remédier ?
C’est toujours une question qui m’interpelle. Mettre une femme nue pour vendre une glace est-il cohérent ? Il faut vraiment qu’on change notre perception de la femme objet et considérer la femme comme une entité à part entière qui ne doit pas être réduite à un corps. Je pense que cela, il faut le déconstruire dans quasiment toutes les sociétés où les violences sexuelles explosent, où la femme est toujours perçue comme un objet sans valeur qui peut être maltraité, malmené, agressé, insulté. Par ailleurs, les réseaux sociaux n’arrangent pas forcément les choses.
Les hôtesses dans les salons ne sont généralement cantonnées qu’à un corps, ce qui veut dire qu’en dehors de leur corps elles n’existeraient pas. Les filles grandissent alors avec cette idée que pour exister, elles ne peuvent se fier qu’à leur corps et non à leur intelligence ou à leur créativité. On construit des générations qui vont penser que leur seule façon de réussir c’est par le biais de leur corps.
Ce travail se joue vraiment au niveau de l’éducation et il convient notamment d’insister sur l’Histoire et mettre en lumière le rôle que les femmes ont joué tout au long de l’humanité. Il y a une réelle méconnaissance de la place de la femme sur le plan culturel, sportif, politique, etc. Je pense qu’il faut se réapproprier ces histoires pour changer les regards. Il faut changer de paradigme et ne pas percevoir seulement la femme comme un corps mais comme une entité intelligente et créative. Il convient donc de repenser nos modèles marketing, notre rapport à la femme, notre rapport aussi à son corps car dans le milieu de l’art, notamment, il y a toujours cette dimension de sexualisation de la femme. Cela a toujours été le cas, par exemple, dans les domaines de la peinture ou de la sculpture, dans lesquelles elles sont représentées comme des objets de tentation que l’on veut toucher ou saisir. Il y a tout ce rapport-là qu’il faut repenser pour faire en sorte que les générations grandissent avec un autre regard que celui de la femme comme objet.
Quel impact espérez-vous que votre livre ait sur les lecteurs ?
Comme je l’ai fait, j’aimerais qu’ils puissent se remettre en question sur la perception qu’ils ont des femmes. Il faut que chaque homme réfléchisse à la relation qu’il entretient avec sa mère, sa tante ou sa sœur, avec son entourage proche. Chaque homme doit faire un travail sur lui-même. En lisant ce livre, il se rendra compte qu’une femme est plus qu’un objet. Être une femme est souvent plus compliqué qu’être un homme au travers des situations qu’elles sont contraintes de vivre. Il faut vraiment réfléchir à sa vision des femmes et déconstruire son masculinisme. L’objectif est que l’homme s’interroge, se rende compte du respect que les femmes méritent et qu’il contribue à hauteur de ses moyens à faire en sorte que les femmes soient davantage respectées au sein de nos sociétés.
Quel message aimeriez-vous transmettre à toutes les petites filles de ce monde ?
Croire en elles, ne jamais baisser les bras, savoir dire non, se donner les moyens d’atteindre leurs objectifs et ne jamais se laisser écraser par qui que ce soit. Elles ne doivent surtout pas cantonner leur vie à un corps car elles valent plus que cela et méritent de croire en leurs rêves.
Avez-vous d’autres projets d’écriture pour la suite ?
Oui, j’aime m’interroger sur la société dans laquelle nous vivons et sur tous les maux qui l’affectent pour essayer de changer ces sociétés souffrantes. La question de la dignité humaine n’est plus une priorité. Plus on respectera la différence, plus on acceptera la diversité des individus, plus la société sera en phase avec elle-même.
Je pourrais écrire un roman philosophique sur notre rapport à la société, sur la vie dans les quartiers populaires, sur le rapport à la vie. La thématique peut être vraiment très large, cela dépend vraiment de mon inspiration sur le moment, de l’actualité, des rencontres que je fais. Tout cela nourrit mon inspiration.
J’ai plein de manuscrits en attente actuellement. J’ai un roman philosophique intitulé Les Vingt-cinq Odyssées de la vie, il interroge sur notre rapport à la vie. Le style d’écriture que j’utilise est la polysyndète. Cela consiste en la répétition d’une conjonction de coordination au début de chaque énumération et, à partir de là, je traite de différentes thématiques. J’en ai pas mal en réserve : L’archipel du ghetto, Street Education, je suis aussi en train d’achever un ouvrage intitulé Triste Époque. J’essaye de poser un regard objectif, d’observateur, sur les questions de société pour inciter les lecteurs à s’interroger sur le monde dans lequel nous vivons.
Michel-Angelo Fédida
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