Rome est une femme de Michel Chevallier
15 septembre 2022Michel Chevallier l’est l’auteur du roman policier Rome est une femme, paru en octobre 2020 aux éditions de l’Harmattan. Ce livre au titre mystérieux suit le parcours d’un personnage aussi torturé qu’intriguant, Cesare Accardi, un policier qui va sombrer dans l’obsession d’une affaire sordide. Au sein de cet ouvrage « choc », le lecteur assiste de près les péripéties du duo formé avec son supérieur du héros, Gaetano. L’originalité de cette enquête qui reprend les codes du genre pour mieux les casser est la période choisie, pour lancer cette « chasse à l’homme » hors du temps. En effet, ce récit palpitant s’ouvre en 1935, à l’entre-deux guerre. Dans une Italie fasciste, la situation est catastrophique. A l’image d’une Europe brisée par la Grande Guerre et celle à venir, les Italiens subissent l’autorité de Mussolini. Désireux d’accorder une réalité historique appréciable pour sa transparence, l’auteur Michel Chevallier présente des protagonistes entiers, qui collaborent souvent avec ce système purement liberticide. Plutôt que lisser l’existence, l’écrivain – soucieux de créer des personnages authentiques, va emporter son lecteur dans une spirale d’horreur, avec des scènes parfois très dérangeantes, tant elles semblent crédibles… Au cœur de cette année charnière pour le pays, l’unité est de mise. Tout risque de division est synonyme de danger pour ce régime autoritaire, réuni autour d’une figure sacralisée. C’est donc dans ce contexte très spécial que le jeune Cesare Accardi se voit confier une affaire de meurtre. La victime est une femme appelée Vantona Vizzi, retrouvée mutilée sur une plage. Cette découverte bouscule totalement son existence, puisque ce cadavre le hantera tout au long du récit.
L’impact de cette enquête sur le mental du protagoniste participe à créer une atmosphère particulièrement tendue, flirtant avec des sujets tabous. Le roman est entièrement écrit à la première personne, puisque Cesare prend ici le rôle du narrateur. Le lecteur assiste donc à ses pensées, témoin de ses déviances sexuelles et de ses fantasmes inavoués. Par exemple, Cesare rapproche souvent des figures religieuses à la souffrance, y mêlant à plusieurs reprises l’orgasme. Dans ce polar osé, Michel Chevallier use de sa plume efficace pour tisser une histoire dynamique, où le lecteur ne se perd pas. Malgré un rythme ardu, cet enchaînement de retournements de situation et péripéties forme un cocktail interdit absolument délicieux. Avec ce personnage qui fréquente la belle Liana, celui-ci ne peut s’empêcher de tomber irrémédiablement amoureux de l’image qu’il s’est construite de ce cadavre : cette charogne qu’il imagine pleine de vie.
En contrepartie, l’écrivain exploite avec brio l’omniprésence de la foi catholique dans le cœur des Italiens. Pourtant, le « Duce » est anticlérical. Si le tyran n’a pas réussi à séduire autant d’adeptes comme le chancelier Adolf Hitler, ce dernier a tenté d’introduire, dans les esprits des Italiens l’idée que le fascisme « est une conception religieuse ». Sur fond de propagande constante et ses mensonges honteux, les policiers cherchent à découvrir la vérité au sujet de cet assassinat… Ce contraste forme un outil narratif redoutable, qui transforme cette simple enquête en ouvrage symbolique, aux multiples messages subtils… Dans cette fiction qui appartient à la catégorie des thrillers historiques, le lecteur suit une affaire qui traîne volontairement en longueur. Contrairement à d’autres romans noirs du genre, le réalisme est à l’œuvre dans cet ouvrage où les évènements se voient bouleversés. Cela ajoute un côté très crédible à cette affaire frustrante, où le lecteur s’indigne des injustices vécues par Cesare et son mentor.
Avec un personnage aussi attachant, humain, mais habité par une obsession malsaine envers une défunte, l’intrigue réussit le pari d’attiser l’empathie. Plutôt qu’instaurer une ambiance lourde où la plaisanterie n’est pas permise, l’auteur laisse quelques pointes d’humour. En revanche, l’artiste a su pointer du doigt les inégalités aberrantes au sein de la capitale italienne. Les résidences huppées, richissimes face aux taudis des plus pauvres. Grâce à ce protagoniste peu séduit par le chef de son pays, le lecteur parvient mieux à se rapprocher de lui et à éprouver de la sympathie. Cet individu très spirituel interprète les signes du destin selon son bon vouloir. Naïf et inexpérimenté, ce chemin initiatique l’emmène dans les tréfonds d’une ville parfois sale et gorgée de secrets. De jeune garçon, le héros évolue en homme, à partir du moment où il ose sortir des sentiers battus pour enfin lever le mystère sur ce meurtre abominable… En plein cœur de l’aventure, les autorités clôturent l’affaire et accusent un innocent. Mais s’ils poursuivent leur quête, les deux enquêteurs se transformeront en larcins. Que feront-ils ? Vont-ils tout abandonner, quitte à risquer gros ?
Finalement, le roman Rome est une femme est un polar complet, où l’émotion est souvent au rendez-vous. Une lecture hors du temps qui s’attaque aux questions qui dérangent. Un divertissement toujours d’actualité, qui ne manque pas de panache…