Quel est votre parcours et comment a germé votre envie d’écrire ?
J’ai commencé à lire très tôt des classiques tels que Zola ou Balzac. Je me suis intéressé plus tard aux auteurs de la génération perdue américaine : Fitzgerald, Faulkner, Steinbeck qui ne sont pas des écrivains que l’on découvre dans le parcours scolaire français. C’est ce qui a constitué mon socle de connaissances. À l’origine, je ne suis pas du tout un littéraire. Je ne suis issu ni de Khâgne ni d’Hypokhâgne mais horloger de métier.
Je suis doté d’un imaginaire fécond et je pense qu’à notre époque c’est une richesse créative. J’ai eu envie d’écrire et de concevoir des histoires à tiroirs avec des intrigues parfois complexes mais aussi à dimension culturelle. J’ai sorti un premier roman en 2016, Le pêcheur d’éclat de lune (Les éditions ThoT). Il s’agissait en quelque sorte de la quête initiatique d’un jeune clerc de notaire qui doit décorer un héritier dont il part en quête.
De quoi traite votre nouvel ouvrage ?
C’est l’histoire d’amour entre le jeune Giacobbe, fils de l’un des fondateurs de la Banco Rosso, et Alba, une fille d’aristocrates vénitiens proches du doge et des procurateurs. Il s’agit d’un livre singulier, complètement intemporel, qui pourrait rentrer dans la culture populaire. Il traite à la fois d’amour fou – c’est un thème d’actualité – entre deux classes sociales complètement différentes dans une Venise totalement fermée, pour ne pas dire moyenâgeuse. Cet amour est entouré de superstitions. Il peut y avoir différentes lectures du baiser alchimique (Le Lys Bleu Éditions), divers degrés de compréhension en fonction de ses connaissances. On y rencontre aussi une part de mystique et de tradition orale juive. Il y a beaucoup de paraboles. La dimension intemporelle et peut-être aussi le côté osé du livre peuvent suciter son intérêt.
Pourquoi avoir choisi Venise au XVIIème siècle pour théâtre de votre intrigue ?
Déjà, il y a le quartier de la fonderie qui est intéressant parce qu’à cette époque – c’est une petite référence historique –, les Juifs étaient bien souvent les comptables et les trésoriers des notables et des marchands de tissus vénitiens. Pour éviter qu’ils ne se noient dans la lagune, ils étaient enfermés chaque soir dans le quartier de la fonderie, où se trouvaient les anciennes fonderies de cuivre. D’ailleurs, l’étymologie du mot ghetto vient du mot italien qui signifie fonderie. Le premier ghetto de l’histoire était à Venise.
Ensuite, il fallait que ce soit Venise, c’est le cadre idéal. Il y a trois personnages à part entière dans ce roman qui sont à la fois Venise qui prend une dimension d’être-vivant très changeant en fonction des saisons, du jour et de la nuit où l’ambiance, l’atmosphère, change complètement. Le deuxième personnage c’est l’athanor, le four de cuisson de l’alchimiste qui est aussi décrit comme un personnage vivant qui participe pleinement à l’intrigue du roman. Le troisième personnage c’est le ponton, un peu comme la lumière verte qui revient sans cesse comme une obsession dans le roman Gatsby le magnifique de F. Scott Fitzgerald. Là, le ponton, c’est aussi le dénominateur commun de l’intrigue parce que le premier contact physique qu’ont Giacobbe et Alba se déroule sur le ponton au moment où il lui prend la main pour l’aider à descendre de la barque. Ensuite, c’est sur le ponton que meurt Giacobbe et c’est sur le ponton que se dénoue l’intrigue de ce roman. Ce sont donc des personnages à part entière qui ont une importance cruciale et Venise en fait partie.
D’où vient votre connaissance et votre passion pour cette ville ?
J’ai découvert Venise il y a très longtemps, je m’y suis rendu avant les premières grosses vagues touristiques, il y a une quinzaine d’années, à l’époque où c’était encore tenu par les Vénitiens. Je me suis intéressé aux quartiers périphériques des quartiers touristiques, notamment Cannaregio et donc à l’histoire du ghetto que j’ai trouvé assez fascinante. J’ai approfondi mes connaissances. Cette situation décrivait déjà une forme de persécution universelle contre ce groupe ethnique. Je sais que c’est un sujet qui en ce moment est sensible mais mon livre a été écrit avant les événements que l’on connaît. C’est ce qui m’a donné envie de mieux connaître Venise donc j’y suis retourné à plusieurs reprises pour faire des repérages et mieux capter l’atmosphère de la ville.
Où avez-vous trouvé l’inspiration ?
À travers les voyages que j’ai mené à Venise mais aussi par mes différentes lectures, mes diverses réflexions également, notamment peut-être sur des sujets ésotériques auxquels je me suis intéressé mais de manière rationnelle. Je citais la mystique juive, le golem est clairement un personnage issu de cette tradition. Aussi, après la mort de Giacobbe, son père devient en quelque sorte le juif errant qui est une résultante de la mystique juive. Mais il ne s’agit pas non plus d’un ouvrage centré sur le judaïsme puisque ce n’est pas du tout le cas. Il n’est mentionné à aucun moment. C’est là que se trouve justement la subtilité du roman et que sa compréhension dépend du socle de connaissances de chaque personne. Le quartier de la fonderie, si vous ne connaissez pas Venise, vous ne percevez pas son origine, comme la Banco Rosso. Ce n’est pas juste une histoire à l’eau de rose avec le dénouement qu’on connaît. C’est plus poussé et on peut à travers ce roman effectuer des recherches et découvrir vraiment l’histoire de Venise, du doge, des procurateurs et de la manière dont cette société fonctionnait à l’époque.
À quel lectorat se destine votre ouvrage ?
Il peut intéresser des adolescents gothiques ou en quête de gothisme mais également des professeurs d’histoire. Je me positionne dans la lecture populaire. C’est-à-dire qu’en réalité je ne veux pas parler d’actualité mais d’intemporalité. J’aimerais laisser une œuvre qui marque les esprits. Pourquoi j’écris ? J’écris plus pour une forme d’héritage et de postérité que pour le nombre d’exemplaires vendus, du moins pour l’instant.
Votre style est très visuel et évocateur. Comment travaillez-vous l’aspect sensoriel dans votre écriture ?
C’est une introspection. Déjà, il y a un exercice qui est assez difficile et j’en parlais avec des jeunes femmes, c’est de se mettre à la place d’une femme qui aime quand on est un homme. Cela demande une introspection, une sensibilité et une empathie. Il faut imaginer les personnages sans trop de mièvrerie, sans les rendre ridicules tout en assurant le bon équilibre de sensibilité et de personnalisation qui va créer ou non l’attachement.
Avez-vous des rituels d’écriture ?
Je suis productif et créatif à la montagne. J’ai souvent commencé mes livres ou mes écrits face à la neige, donc un peu la page blanche. D’ailleurs, en ce qui concerne mon prochain roman, qui est déjà structuré dans mon esprit mais n’est pas encore posé sur papier, j’attends cette période pour le commencer.
J’ai aussi un entraînement. Pour mon premier livre, il m’arrivait de me lever la nuit quand j’avais une idée. Aujourd’hui, je ne le fais plus et j’essaye d’utiliser la mémorisation, c’est-à-dire qu’une fois qu’une idée est née, je travaille pour l’ancrer dans mon esprit et même si je ne l’écris pas dans l’immédiat je la conserve et je sais qu’elle va me revenir comme un tiroir. C’est pour cela que j’aime dire que j’écris des livres à tiroirs.
Comment votre écriture et vos thèmes ont-ils évolué depuis votre premier roman ?
Un premier roman est un premier roman. Je veux dire que l’intrigue était bien – c’est le retour que j’ai eu – mais l’écriture était tâtonnante, notamment pour tout ce qui consiste aux dialogues. Ce n’est pas forcément évident de donner de l’intensité dans un dialogue entre deux personnages et d’y véhiculer une idée. Je pense que pour un auteur, le plus difficile est de faire parler ses personnages. Lui, a l’idée de ce qu’ils veulent se dire mais le communiquer au lecteur reste extrêmement complexe. Effectivement, l’écriture prend de l’assurance après. L’important pour moi est de se faire comprendre. J’utilise des phrases volontairement courtes, souvent cinglantes et assez percutantes pour éviter de rentrer dans des paragraphes interminables. J’essaye d’éviter absolument l’écriture à la Zola avec des descriptions interminables. J’ai lu une grosse partie de son œuvre mais il faut vraiment rester accroché. Je veux éviter cela aux lecteurs.
Mon premier roman s’adressait à un lectorat de 7 à 77 ans. C’était un peu dans cet esprit-là. Si dans les écoles il est lu c’est sympa mais le lecteur plus âgé qui le lira y trouvera encore des anecdotes, des paraboles, du symbolisme entre autres. Dans Le baiser alchimique, je mets continuellement en contraste l’innocence, la beauté et la pureté avec la noirceur, la laideur et la violence. C’est un ascenseur émotionnel permanent entre les crimes horribles proférés par la créature puis je passe ensuite volontairement d’un chapitre comme celui-ci à la douceur, la beauté, la chaleur de l’été.
Combien de temps vous a pris l’écriture de cet ouvrage ?
Il m’a pris deux ans. Ma méthodologie est de n’avoir aucune pression et d’être précis sans être prolixe. Je ne veux pas écrire pour écrire. Il faut que l’histoire se structure parfaitement, notamment dans la chronologie. Dans Le baiser alchimique il y a trois temps. Il y a le temps présent où la créature agit, on ne sait pas pourquoi. Il y a le retour en arrière où je raconte ce qui s’est passé auparavant avec la rencontre d’Alba et Giacobbe. Cette histoire d’amour profonde et puissante qui naît avec une incomparable confiance, il s’agit vraiment de la rencontre de deux âmes sœurs. Ensuite, il y a le troisième temps qui est l’action d’Alba suite à la disparition de Giacobbe. Ce sont ces trois temps qui se superposent. Quand vous travaillez sur trois temps il faut vraiment le faire quand vous êtes sûr de votre idée et de la manière dont ça va s’imbriquer dans votre écriture.
Quels sont vos prochains projets littéraires ?
J’en ai un qui va traiter des gitans et plus particulièrement des forains. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant. Je me rends dans quelques jours dans le sud de la France où j’ai des contacts. Je vais aller du côté des Saintes-Maries-de-la-Mer, je connais déjà un peu la région mais pour approfondir je vais voir si je ne peux pas rentrer en contact avec des forains pour discuter un peu de leur culture. Ce livre tournera autour des forains et de ce qu’il s’est passé en quarante. Je souhaite écrire quelque chose d’abouti et de vraiment léché.
Michel-Angelo
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